Le contexte politico-social et sécuritaire reste toujours agité et empreint d'incertitudes et de controverses depuis le second coup d’Etat du 24 mai 2021 qui a porté au pouvoir le colonel Assimi Goïta.

Malgré la mise en place d’un nouveau gouvernement de transition conduit par M. Choguel Kokala Maiga, Président du Comité Stratégique du M5-RFP (Mouvement du 5 juin- Rassemblement des Forces Patriotiques), un mouvement qui a contribué à la chute du régime d’Ibrahim Boubacar Keita, la situation politico-sociale domine l’actualité nationale en dépit de la situation sécuritaire dégradante. Cela a été exacerbée par la crise sanitaire depuis plus d’une année. Au cœur des préoccupations, les incertitudes face aux avancées des réformes politiques prioritaires pour des élections apaisées qui conduiront à l’élection d’un pouvoir démocratique incontestable promise par le gouvernement.

Malgré la mise en place d’un nouveau gouvernement de transition conduit par M. Choguel Kokala Maiga, Président du Comité Stratégique du M5-RFP...la situation politico-sociale domine l’actualité nationale en dépit de la situation sécuritaire dégradante

Bien que les acteurs de consolidation de la paix ne soient pas acteurs directs des affaires politiques, ils subissent tout de même les impacts négatifs de la situation politique. En effet, les mesures de suspension des partenaires au développement touchent la plupart des organisations de la société civile (OSC) de façons générales et les acteurs locaux de paix ne sont pas épargnés. Par exemple, la Banque mondiale a suspendu le financement de projets d'une valeur de 1,5 milliard de dollars à la suite du coup d'État. « Nous avons un projet de réinsertion socio-économique des ex-combattants (PREC) à l’endroit des inaptes au processus du DDR qui ne peuvent pas intégrer l'armée. Le projet financé par la Banque Mondiale a été suspendu depuis le coup d’Etat d’aout 2020 », a affirmé un agent de l’ONG Greffa, une organisation de femmes de la société civile intervenant dans la région de Gao.

En outre, les problèmes politiques de haut niveau qui ont conduit au second coup d'État, ainsi que le bras de fer entre le gouvernement et le principal syndicat de travailleurs, l'UNTM (Union Nationale des Travailleurs du Mali), ont fortement réduit la capacité des services de l'État à assurer la sécurité des personnes et de leurs biens.

Un contexte de défi sécuritaire qui ne s’améliore pas

De même, le contexte sécuritaire défavorable a freiné les acteurs de paix locaux des régions du Nord et du Centre du pays. La criminalité augmente dans les localités, notamment dans les régions de Gao et Mopti. Cette tendance s’explique par une prolifération des armes légères et la présence des groupes armés non étatiques dans les environs des villes. « Toutes les localités de la région de Gao sont devenues dangereuses. Les localités comme Boura, Ouatagouna et Tessit dans la région de Gao sont les plus touchées », a confié un agent d’ONG intervenant dans la localité. Il ajoute que « se déplacer dans la zone constitue une loterie. On peut être attaqué partout dans ces zones, parfois même à moins de 2 km des checkpoints des forces armées maliennes (FAMa) sans que les forces armées ne réagissent ».

De même, le contexte sécuritaire défavorable a freiné les acteurs de paix locaux des régions du Nord et du Centre du pays

C’est ainsi que plusieurs initiatives de paix des OSC locales soutenues par des organisations internationales comme AEN (Aide de l’Eglise norvégienne), ONU-femmes et GIZ (Société allemande pour la coopération internationale), font l’objet de suspension fréquente chaque fois qu’une attaque est intervenue dans la localité jusqu’au retour au calme. « Nous, agents d’OSC, sommes parfois accusé d’être des espions des occidentaux », affirme un membre de l’observatoire des médiatrices dans la région de Gao.

Dans la région de Mopti et spécifiquement dans les cercles de Koro, Bandiagara, Bankass et Douentza, les activités de sensibilisation pour la paix ont souffert en raison des déplacements massifs des populations suite à des attaques meurtrières. « La plupart des activités ont été suspendues à Mondoro, Ogossagou, Boulkessi suite à des attaques meurtrières » a affirmé Mme Tata Touré, Directrice Exécutive de l’OSC ODI-Sahel (Organisation pour le développement intégrée au Sahel).

Dans la région de Mopti et spécifiquement dans les cercles de Koro, Bandiagara, Bankass et Douentza, les activités de sensibilisation pour la paix ont souffert en raison des déplacements massifs des populations

De plus en plus, le personnel de certaines OSC du Nord et du Centre reçoivent des menaces de mort par messages ou appels téléphoniques, ou sont victimes d’enlèvement par les groupes armés non-étatiques. « Certaines menaces proviennent même des Forces de défense et de sécurité malienne suite à de dénonciation des OSC dans les médias ou auprès de la hiérarchie des forces », confie un agent de programme à Gao.

A noter que depuis plus d’une année, Abdou Sekou Oulogueme, agent du Centre pour le Dialogue Humanitaire, a été enlevé par les groupes armés dans le cercle de Bankasse, région de Mopti, jusque-là sans trace.

Capacité d’adaptation des OSC au contexte national malgré les multiples défis

La capacité de mobilisation des OSC diffère selon les zones d’intervention. Les OSC qui interviennent dans les zones de conflits parfois de difficulté de toucher leurs cibles en raison d’inaccessibilité à certaines localités pour des raisons de sécurité. Malgré ces difficultés, elles sont nombreuses à savoir adapter, voire concilier leurs actions de consolidation de la paix aux codes sociaux des communautés, malgrès la volatilité du contexte sécuritaire, pour atteindre leurs groupes cibles. L’Associations des Femmes Victimes et Témoins du Mali (AFEVITEM) a atteint un niveau de mise en œuvre de la planification stratégique de 85% tout comme l’OSC Delta survie qui a atteint 65% de son programme en 2020. La thématique du genre est prise en compte du genre par toutes les OSC. Les OSC comme Women in Law and Development in Africa (WILDAF), l’Association pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes (APDF), l’Association des Juristes Maliennes (AJM), et le Groupe de Recherche, d`Étude, de Formation Femme-Action (GREFFA), consacrent plus 70 à 80 % de leurs activités aux femmes et filles.

Plusieurs OSC des régions centrales du Mali ont pu atteindre leurs groupes cibles - les femmes et les jeunes en particulier - et se mobiliser malgré les restrictions de déplacement imposées par les autorités régionales. "En raison de l'interdiction de circulation des motos, nos agents de terrain utilisent des ânes et des charrues. Cette approche nous a permis de mobiliser nos groupes cibles", explique Mme Diallo Tata Touré, directrice de l'ONG ODI-Sahel. C'est l'une des forces des acteurs locaux de la société civile.

Engager les acteurs de la sécurité et de la justice

Bien que la plupart des OSC s’inscrit dans divers processus de dialogue, force est de reconnaître que des postures distinctes se présentent principalement dans les relations avec les acteurs de sécurité et de justice.

Il s’agit de la posture de la dénonciation des violences des droits humains parfois commises par les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) et les groupes d’auto-défense, les adeptes de cette catégorie d’approche sont beaucoup plus cibles d’intimidation et de menace. « Nous savons que notre sécurité est en danger mais nous ne pouvons pas laisser les populations à leur sort », confie un agent de terrain dans la région de Gao. Cette approche est portée principalement par Tabital Pulaku (une association de la communauté peulh à base ethnique), Association Malienne des Droits de l’Homme, Delta survie, GREFFA, et WILDAF. Cette posture crée une méfiance des FDS ainsi que la justice à l’égard d’OSC de défense des droits humains.

La seconde posture consiste, à avoir un « dialogue constructif» avec les FDS sur leurs relations avec les communautés et sur les faiblesses à améliorer. Cette posture est la plus répandue auprès des OSC en consolidation de la paix. Cependant, il est à signaler que le dialogue sur la paix au niveau local dans le Delta central du Niger est devenu plus en plus difficile en raison du risque de représailles que les acteurs de paix subissent.

Que faire pour améliorer la situation ?

Eu égard aux différentes mutations socio-politiques, institutionnelles et sécuritaires, il devient plus en plus crucial pour la communauté internationale d’apporter l’appui nécessaire aux OSC afin d’accroitre leurs aptitudes et leurs capacités opérationnelles pour amener la paix là où l’Etat et ses partenaires n’ont pas réussi à couvrir. Un environnement sécuritaire et politique favorable est tributaire de l’atteinte d’un tel objectif.


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