La Désinformation en Temps de Guerre : Un Poison pour la Paix au Nord-Kivu
Le Nord-Kivu, un territoire de la RDC, est marqué par des décennies de conflits armés, actuellement entre le groupe rebelle M23/AFC et les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC). Mais au-delà des combats sur le terrain, une autre guerre, plus insidieuse, fait rage : celle de l’information. La prolifération de la désinformation et de la propagande médiatique ne se contente pas d’alimenter la confusion ; elle sabote activement les efforts de consolidation de la paix et renforce l’instabilité sociale.

Au Nord-Kivu, 70 % des jeunes sont au chômage et l’accès à une éducation de qualité reste limité. La manipulation de l’information devient une arme redoutable, exacerbant les tensions communautaires et enrôlant les jeunes dans des conflits qui dépassent souvent leur compréhension.
Jean, un jeune homme de 24 ans et ancien combattant recruté par un groupe armé, témoigne :
"Quand j’ai rejoint le mouvement, on m’a dit que je défendais ma communauté contre des envahisseurs. Sur WhatsApp, je voyais des vidéos qui montraient des massacres soi-disant commis par l’ennemi. Mais une fois sur le terrain, j’ai compris que tout n’était pas vrai. Nous attaquions des villages où les gens étaient innocents. J’ai fini par fuir, mais beaucoup de mes amis sont restés."
Le Nord-Kivu : une frontière instable et une guerre de l’information
La province du Nord-Kivu, frontalière du Rwanda et de l’Ouganda, est une zone d’intérêts stratégiques où s’entremêlent des enjeux économiques, géopolitiques et identitaires. Dans cet environnement incertain, la désinformation prend différentes formes :
- Manipulation politique et militaire : Des rumeurs orchestrées par divers acteurs, y compris des puissances étrangères, visant à légitimer ou discréditer certains groupes armés.
- Falsification des faits sur les réseaux sociaux : Propagation d’images et de vidéos hors contexte pour attiser la peur et la haine interethnique.
- Censure et opacité institutionnelle : Des informations cruciales, comme la prise de Goma par le M23/AFC fin Janvier 2025, ont été dissimulées ou minimisées, poussant le public à se tourner vers des sources alternatives peu fiables.
En conséquence, la confiance du public envers les médias et les institutions se détériore. Une étude de la fondation Hirondelle estime que 43% de personnes la radio locale quotidiennement mais que seulement 46% d’entre elles déclarent avoir un niveau de confiance modéré à élevé dans ces médias (2019) favorisant ainsi le recours aux rumeurs et à la propagande.

Les jeunes adhèrent au M23 après son Meeting en ville de Goma, Février 2025
La jeunesse, victime et instrument de la désinformation
Les jeunes sont les premières victimes de ce chaos informationnel. Déjà confrontés à une pauvreté endémique et à un accès limité à l’éducation, ils deviennent des cibles faciles pour les propagandistes et les groupes armés.
Le recrutement des jeunes est instrumentalisé à travers des campagnes de désinformation qui sont diffusées sur WhatsApp et Facebook, et qui leur font croire qu’ils se battent pour une cause légitime, alors qu’ils servent souvent des intérêts politiques ou économiques cachés.
Au fur et à mesure que les messages haineux circulent, l’amplification des conflits interethniques se fait sentir, surtout avec la transformation de tensions latentes en violences ouvertes, ce qui mène à la vengeance et à la radicalisation de la jeunesse qui utilise ces réseaux sociaux.
Les conséquences sont dramatiques : D’après le rapport de l’ONU (Avril 2022-Mars 2024), 4006 enfants ont été forcés ou utilisés en tant que combattants ou éclaireurs, dans un contexte où la désinformation (rumeurs d’attaques, faux récits) étaient fréquemment utilisés.
Des efforts fragiles pour une information fiable et une paix durable
Malgré ce climat hostile, des initiatives émergent pour contrer la malinformation et promouvoir une information responsable :
- Fact-checking et journalisme indépendant : Des plateformes comme Congo Check, U-Report et des radios locales s’efforcent de vérifier et corriger les fausses informations circulant en ligne à travers des enquêtes sur le terrain et le regroupement de témoignages, d’images et de vidéos.
- Éducation aux médias et à l’esprit critique : Certaines organisations locales comme CORACON, Pole Institute, UCOFEM organisent des formations à Goma et Beni, y compris sur des chaines de radio locales (Pole FM, Radio moto Butembo-Beni) pour apprendre aux jeunes à identifier les fake news et à diversifier leurs sources d’information.
- Régulation et responsabilité des plateformes numériques : Les plateformes de lutte contre la désinformation et les autorités locales militaires continuent d’exercer une pression pour que Facebook, WhatsApp et Twitter agissent contre la désinformation qui alimente la guerre.
Cependant, ces efforts restent limités par un manque de moyens et par la méfiance du public envers les institutions.
David, animateur dans une radio communautaire, témoigne :
"Nous avons organisé des émissions pour expliquer aux jeunes comment vérifier les informations avant de les partager. Certains ont compris et ont même dénoncé des fausses nouvelles qui circulaient. Mais d’autres restent influencés par des rumeurs qui circulent sur WhatsApp. La lutte est difficile, mais chaque jeune conscientisé est une victoire."

Formation des journalistes sur le journalisme sensible aux conflits en ville Beni par CORACON, Mai 2025
Recommandations pour un Nord-Kivu plus stable
Face à cette menace persistante, il est urgent d’adopter une stratégie globale pour combattre la désinformation :
- Impliquer l’État et la communauté internationale dans la régulation des contenus en ligne et la transparence médiatique.
- Renforcer le journalisme d’investigation et protéger les journalistes qui dénoncent la manipulation de l’information.
- Investir dans l’éducation numérique pour que la population puisse mieux discerner les faits des manipulations.
Le Nord-Kivu n’a pas seulement besoin de solutions militaires et politiques pour retrouver la paix. Tant que la guerre de l’information continuera à semer la méfiance et la division, la stabilité restera hors de portée. Il est temps d’armer la population non pas avec des fusils, mais avec la vérité.