Alors que le Mali vit une situation sécuritaire plus en plus dégradante depuis 2012, le nombre de cas de COVID-19 connait une augmentation galopante avec la seconde vague qui secoue le pays depuis novembre. Le soutien du public varie sur les mesures prises par le gouvernement pour freiner la propagation de la pandémie, souvent selon des critères socioéconomiques. Il y a actuellement une remontée progressive du nombre de cas avec un pic jamais atteint pendant la première phase.

Face à l’ampleur de la crise sanitaire, le Conseil des Ministres, réuni en session extraordinaire, le vendredi 18 décembre 2020, a adopté de nouvelles mesures d’urgence et des mesures d’accompagnement complémentaires. Entre autres, il s’agit principalement de :

  • la mobilisation et le déploiement des comités de veille, de sensibilisation et de suivi des gestes barrières à travers tout le pays ;
  • la déclaration de l’état d’urgence sur le territoire national à partir du 19 décembre 2020;
  • l’appui aux organisations de la société civile, notamment en les dotant de kits de pulvérisation ;

Alorsque le soutien du gouvernement aux efforts de la société civile fait souvent défaut au Mali, ce dernier est important. Néanmoins, c’est les communautés qui supportent le poids de l'impact dela pandémie  : plus d’école jusqu’au 4 janvier, plus d’audiences publiques jusqu’au 16, mais surtout la fermeture des rues marchandes, des bars, des restaurants et des discothèques jusqu’à nouvel ordre.

Un tour de vis sécuritaire de l’exécutif

Parallèlement à la situation sanitaire, la situation sécuritaire se détériore de plus en plus dans les régions du nord et du centre du pays. Ces régions sont devenues une zone très difficile d’accès dues à la présence des groupes armés non identifiés qui commettent des attaques sur les axes, procèdent à des enlèvements, et multiplient la pose d’engins explosifs improvisés.

Parallèlement à la situation sanitaire, la situation sécuritaire se détériore de plus en plus dans les régions du nord et du centre du pays

Parallèlement aux mesures pour lutter contre l’épidémie, les autorités de transition invoquent « la situation sécuritaire du pays » et « la persistance des actions terroristes » pour mettre en place toute une série de mesures d’un autre genre qui vont « modifier sensiblement l’exercice des libertés publiques et individuelles », selon les mots du ministre de l’Administration territoriale. Ces mesures marquent un tour de vis sécuritaire de l’exécutif.

Dans une lettre adressée à tous les gouverneurs, préfets et sous-préfets du Mali, le ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation, lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga leur indique qu’ils peuvent dorénavant « ordonner en tous lieux des perquisitions de jour et de nuit ». Le ministre leur rappelle également qu’ils sont habilités à « assurer le contrôle de la presse », « des réseaux sociaux », « des émissions radiophoniques ou télévisées, ainsi que des cinémas et des théâtres».

Tandis que le personnel médical dénonce « un relâchement » quant à l’application des gestes barrière, cette batterie de dispositifs inquiète la Commission nationale des droits de l'Homme du Mali selon son Président M. Aguibou Bouaré. La liberté d'expression et les libertés individuelles sont menacées au nom de la pandémie. Comme il Il a dit Président Bouaré dans une interview accordée à la Radio France Internationale RFI, il faut redoubler de vigilance face à ces mesures jugées « liberticides »

Impacts sur les acteurs locaux de paix et la réconciliation nationale

Pourtant, le contexte national exacerbé par la crise sanitaire, sécuritaire et sociale ne semble pas faciliter la tâche aux acteurs de paix locaux.

Selon le rapport du cluster protection, « sur un total de 3,714 violations enregistrées entre janvier et novembre 2020, les atteintes au droit à la propriété et les atteintes à l’intégrité physique/psychique sont les deux catégories les plus élevées chaque mois sans exception. Le nombre de mouvements forcés de population est directement lié au nombre d'atteintes au droit à la vie ». Ce dernier a nettement augmenté pendant 2020.

En outre, un Rapport d’Evaluation Rapide du Cluster Protection, fait état de plusieurs cas de tentatives de viol accompagnées de violences physiques (coups et blessures) contre les filles et les femmes de tout âge.

Avec les impacts d’inaccessibilité à certaines localités des régions du Centre et du Nord, les acteurs locaux de la consolidation de la paix se trouvent hors de portée à certaines zones pour les activités de sensibilisation.

Dans certaines localités, les principaux points d’eau ne sont pas loin des zones fréquentées par les groupes armés et les femmes fréquentent ces lieux pour la corvée d’eau et le ramassage de bois d’où les risques liés à l’enlèvement et autres abus.

Avec les impacts d’inaccessibilité à certaines localités des régions du Centre et du Nord, les acteurs locaux de la consolidation de la paix se trouvent hors de portée à certaines zones pour les activités de sensibilisation

Malgré cette situation, un bon nombre de population estime que le défis pourrait se transformer en opportunité pour mieux œuvrer pour la consolidation de la paix. Un sondage de Mali Mètre, indique que la majorité de la population pense que la transition gouvernementale peut avoir un impact sur la réconciliation entre les segments de la société : entre l’armée et les groupes armés (52,7%), les partis politiques et citoyens (55,8%), entre les communautés elles-mêmes (76,9%), entre leaders religieux (66,8%) et entre la justice et la population (71,5%)3.

Opportunités pour les actions de consolidation de la paix

Avec la mise en place du Gouvernement de Transition, la nomination du colonel-major Ismael Wagué, comme ministre de la Réconciliation Nationale pourrait susciter de l’espoir pour une avancée du processus de paix et de réconciliation au Mali.

Le jeudi 5 novembre un forum sur la réconciliation intercommunautaire a eu lieu à Niono, une ville de la région de Ségou, dans le centre du pays. Quatre ministres avaient fait le déplacement, et plusieurs centaines de personnes locales ont été invitées à participer. Les discussions avaient pour but d’apaiser les tensions entre les différentes communautés du cercle, notamment les chasseurs traditionnels dozos d’un côté et l’ethnie peule de l’autre.

Le jeudi 5 novembre un forum sur la réconciliation intercommunautaire a eu lieu à Niono, une ville de la région de Ségou, dans le centre du pays

Les principaux engagements ont satisfait la plupart des participants, et s’ils étaient mises en œuvre, ouvriraient une voie à la paix dans le cercle de Niono: Après le forum, un participant a affirmé avec satisfaction : « On a senti un changement...Les ministres veulent sortir de la logique des milices ». Voir ces projets se concrétiser signifiera un pas en avant vers la sortie du cycle de la violence qui s'est emparé du pays pendant des années. Cela est un seul exemple de la manière dont les communautés mènent ces efforts.

L'accord conclu au forum a été signé par les représentants des groupes dozos et peule, avec une forte implication de hautes personnalités nationales. Cette action d’envergure vient appuyer les mécanismes de gestion de conflits traditionnelle afin qu’ils soient plus inclusifs avec la participation de toutes les composantes de la société.

Le carrefour où Mali se trouve actuellement est important pour saisir les petites ouvertures de dialogue entre les communautés opposées, et démontrer que les efforts á la résolution des conflits menées par les communautés sont les plus efficaces. Cette transition vers un retour à l’ordre constitutionnel et démocratique au Mali pourrait aussi être une opportunité pour une transition vers la paix. Vu que COVID-19 continue de menacer le tissu social, soutenir les efforts locaux de consolidation de la paix doit devenir une priorité. Seul le temps nous dira dans quelle mesure et à quel point cette transition sera une réussite.