L’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) reste une zone en proie à l’insécurité due à l’activisme des groupes armés depuis plusieurs décennies maintenant. Malgré les opérations militaires contre les groupes armés et la proclamation de l’état de siège, la situation reste particulièrement préoccupante dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri.

Dans cet article, nous faisons une analyse des défis sécuritaires auxquels fait face l’Est de la RDC. Nous examinons aussi l’évolution de l’état de siège ainsi que l’engagement des certaines organisations de la société civile dans les initiatives de consolidation de la paix.

Malgré les opérations militaires contre les groupes armés et la proclamation de l’état de siège, la situation reste particulièrement préoccupante dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri

Le contexte sécuritaire actuel demeure toujours inquiétant à l’Est

Depuis la prise du pouvoir par l’actuel président de la RDC en fin 2019 à ce jour, la situation sécuritaire à l’Est du pays reste toujours préoccupante, menaçant non seulement la paix des populations mais aussi le développement de cette partie du pays. Le régime actuel s’est peu intéressé sur la question des conflits à l’Est du pays et de la réforme du secteur de sécurité, donnant plus de priorité à la résolution des désaccords persistants entre le président Tshisekedi et son allié sortant Mr. Joseph Kabila. Leurs désaccords ont abouti finalement à la rupture de la coalition entre le Front Commun pour le Congo (FCC) et le Cap pour le Changement (CACH). Certains groupes armés ont profité de cette distraction gouvernementale pour se réorganiser avec la bénédiction de l’ingérence de certaines puissances régionales qui, par procuration, ne cessent de mener leurs luttes de pouvoir. Les groupes armés se fragmentent mais restent actifs et violents.

En 2020, 122 groupes armés ont été recensés sur les quatre provinces de l’Est de la RDC notamment Nord-Kivu, Sud-Kivu, Ituri et Tanganyika. Bien que leur nombre semble diminué depuis 2017, le nombre d’incidents dus aux attaques de ces groupes armés ont augmenté au cours de l’année 2020. Il faut noter que l’arrivée de Felix Tshisekedi au pouvoir vers le début de l’année 2019 avait suscité d’espoir qui a poussé certains groupes armés et leurs combattants de s’inscrire dans le processus de désarmement et démobilisation. Cependant, au vu de l’échec de ce processus, un grand nombre d’ex-combattants sont en train de regagner le maquis. Ce qui ne rassure pas quant à l’avènement de la paix durable à l’Est de la RDC.

Le territoire de Beni au Nord-Kivu constitue la région la plus meurtrière des provinces du Kivu à cause de l’activisme des ADF. Les attaques de ces rebelles ougandais autour de Beni sont devenues plus fréquentes depuis le début de l’année 2020. Dans le grand Nord-Kivu, le parc national de Virunga est devenu le théâtre de l’activisme des divers groupes armés qui cohabitent parmi lesquels, les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), les ex-rebelles du Mouvement du 23 Mars (M23) ainsi que les Maï-Maï dont les NYATURA-CMC. De son côté, la province de l’Ituri connait plus de violence depuis 2017 à cause de l’activisme du groupe armé CODECO. A part le CODECO, il faut aussi noter les Forces Patriotiques et Intégrationnistes du Congo (FPIC) ainsi que les Forces de Résistance Patriotique de l’Ituri (FRPI) et autres groupes des Maï–Maï à connotation ethnique. Par ailleurs dans les hauts plateaux du Sud-Kivu, la complexité des conflits est aussi entretenue par les manipulations des hommes politiques en quête du positionnement, l’ingérence des pays voisins ainsi que les tensions inter et intracommunautaires. Ces dernières résultent non seulement d’un déficit de cohabitation entre communautés mais aussi des conflits de pouvoir coutumier et des conflits fonciers.

Les conséquences de l’activisme de ces groupes armés au Nord-Kivu et en Ituri sont énormes. En effet, rien que pour la période située entre l’entrée en vigueur de l’état de siège le 06 Mai 2021 et le 10 septembre 2021, l’organisation Human Rights Watch rapporte qu’au moins 739 civils ont été tués. A ces tueries les plus récentes dans ces deux provinces sous l’état de siège, il faut noter que la province de l’Ituri compte à elle seule plus de 1,5 millions des personnes déplacées internes sur au moins 5,2 millions que compte actuellement le pays. Ces derniers vivent dans la précarité totale car ayant perdu leurs biens biens et leur dignité. D’autre part, au moins 26 gardes de parc ont été tués dans le parc national de Virunga, dont 21 en 2020 et 6 autres en début 2021. Le plus récent incident était celui qui avait couté la vie à l’ambassadeur de l’Italie en RDC, son garde de camp et son chauffeur sur l’axe routier Goma-Rusthuru. Il est jusque-là difficile de connaitre exactement les auteurs de ces assassinats dans cette partie du Nord-Kivu ainsi que leur motivation car cette zone regorge plusieurs groupes armés.

La loi martiale ou l’état de siège peine à produire des résultats

Instauré le 6 Mai 2021 au Nord-Kivu et en Ituri, l’état de siège avait pour but de mettre rapidement fin à l’insécurité et l’activisme des groupes armés qui déciment les populations civiles. Cependant, plus de quatre mois après, il n’a pas donné des résultats attendus selon la société civile alors qu’il était prévu pour une période initiale de 30 jours. L’armée a désormais remplacé les autorités civiles. La peur c’est qu’un régime militaire met en péril un large éventail de droits. En effet, selon un rapport de Human Rights Watch, les autorités militaires sont habilitées à perquisitionner les domiciles de jour et de nuit, à interdire des réunions et rassemblements considérés comme portant atteinte à l’ordre public, à interdire la circulation des personnes et à interpeler quiconque pour perturbation de l’ordre public. Déjà, la société civile de l’Ituri avait déploré également des violations des droits de l’homme par les services de sécurité pendant l’état de siège, notamment des arrestations arbitraires et détentions illégales par l’auditorat militaire garnison de Bunia. D’autre part, certains groupes armés en Ituri et au Nord-Kivu procèdent au sabotage de l’Etat de siège en multipliant des attaques meurtrières contre la population civile et en instaurant une administration parallèle dans les zones qu’ils contrôlent.

la société civile de l’Ituri avait déploré également des violations des droits de l’homme par les services de sécurité pendant l’état de siège, notamment des arrestations arbitraires et détentions illégales

En séjour dans la ville de Goma, le Président de la République avait reconnu le 26 juin 2021 au cours de point de presse animé conjointement avec le président Rwandais, la responsabilité de quelques officiers de l’armée, de certaines communautés, de certains pays voisins et de quelques sociétés minières dans les violences sanglantes qui secouent l’Est de la RDC. Le président avait donc décidé de radicaliser l’administration militaire dans ces deux provinces secouées par des cycles des violences meurtrières. Selon lui, l’objectif est de restaurer totalement la paix, la stabilité et la sécurité dans ces deux entités. Cette position confirme la militarisation de l’administration et rend incertain le retour aux affaires de l’administration civile au Nord-Kivu et en Ituri avec toutes les conséquences que cela peut entrainer en matière des droits de l’homme.

Les opportunités de paix créées par les organisations locales existent malgré tous ces défis

Grace à l’appui de Peace Direct sous le financement de l’Agence Suédoise de Développement International (SIDA), l’organisation de la société civile The National Partnership of Children and Youth in Peacebuilding (NPCYP) basée au Nord-Kivu met en œuvre depuis 2019 le projet « Action des Jeunes pour la Paix ». Notons que plus de 59 associations de la société civile dirigées par les jeunes œuvrant au Nord et au Sud-Kivu dans le domaine de consolidation de la paix ont été déjà soutenues financièrement et techniquement par cette organisation nationale. Les principales activités de consolidation de la paix appuyées financièrement par NPCYP sont entre autres le plaidoyer pour la paix, la vulgarisation de la résolution 2250 des Nations Unies relative à la jeunesse, la paix et la sécurité, l’organisation des dialogues communautaires sur la paix ainsi que la réintégration communautaire des ex-combattants.

Avec l’appui de National Endowment for Democracy (NED) et de Search for Common Ground (SFCG), l’organisation de la société civile « Bénévolat pour l’Enfance » met aussi en œuvre des initiatives de consolidation de la paix à travers le projet « Jeunes 3P » (Promotion de la participation des jeunes au processus de paix), ainsi que le projet « Pouvoir de l’Espace civique » au Nord et au Sud-Kivu dont les activités principales sont la mise en place et l’appui aux comités locaux de paix et de cohésion (CLPC), la mise en place et l’appui aux comités pour la démocratie ainsi que le forum des jeunes pour la recherche de la paix et de la démocratie.

Dans la province de l’Ituri, quelques organisations de la société civiles sont aussi actives dans la promotion et la consolidation de la paix. C’est notamment la Solidarité Féminine pour la Paix et le Développement Intégral (SOFEPADI) qui a mis en place dans les zones de conflits à Djugu et Irumu des structures communautaires chargées de faire les analyses de contextes et le partage des alertes précoces tandis que l’Association des Jeunes pour le Développement du Congo (AJEDEC) est spécialisée dans la sensibilisation au désarmement, démobilisation et réintégration ainsi que dans la réinsertion des jeunes sortis des forces et groupes armés.

Dans la province de l’Ituri, quelques organisations de la société civiles sont aussi actives dans la promotion et la consolidation de la paix

Malgré les défis énumérés ci-dessus, les organisations locales de consolidation de la paix œuvrant en RDC démontrent leur capacité à opérer dans des environnements de plus en plus difficiles afin de contribuer à la restauration de la paix, la confiance, l'harmonie et la cohabitation entre communautés. Leur appui technique et financier continu par les organisations internationales et autres donateurs reste indispensable. Les autorités gouvernementales devraient, quant à elles, mettre en place des mesures concrètes d’accompagnement de l’Etat de siège pour éviter l’excès de pouvoir de l’administration militaire qui aurait un impact négatif sur les droits humains mais aussi mettre en place un programme efficace et structuré de désarmement, démobilisation et réintégration des ex-combattants.